LA GENÈSE
Témoignage de Luc Demonpion – Directeur général de GALEA
« Mon procès, mon audience »
A la veille du 13 novembre, je suis cuisinier, ancien pompier de Paris et bénévole à la Protection Civile de Paris Seine. J’ai une vie lambda, enfin une vie banale quoi. Au détour des gardes et avec le double cursus SPP et réserve, j’avais bien sûr vu des choses : avec les gardes, t’es préparé à des cas particuliers, à des cas marquants, graves même… mais pas préparé à ce qui se produit le 13 novembre. Personne n’est préparé à ça. J’ai arrêté cet engagement bénévole après le 13 novembre. Les deux sont évidemment liés. Après les événements, on n’a pas du tout eu de suivi, ni de soutien ou de reconnaissance de la part, non pas de la population, mais des pouvoirs publics. J’ai des camarades, avec moi ce soir-là, qui se sont trouvés très mal après, même un qui s’est retrouvé à Henri Mondor en psychiatrie… mais personne n’a pensé à lui. En voyant ça, en voyant les autorités qui ne se souciaient pas des petits bénévoles du terrain, ça m’a dégoûté je crois. Alors je suis parti.
Moi, mon 13 novembre il a duré 8 jours en tout : il y a eu le soir du 13… mais après, pendant une semaine, on était à l’IML (Institut Médico-légal) de Paris en soutien de l’identification des victimes.
Le 13 novembre, on était d’astreinte. On était trois, mais on est monté à quatre dans le véhicule étant donnée la situation. Sur le trajet on a reçu un ordre de mission pour fusillade, il me semble. Sur le trajet, un des gars du camion regarde sur son téléphone et voit qu’il y a eu des explosions au stade de France. Les attentats de janvier venaient de se déroulés et j’avais passé une journée de merde. Ils ont tiré à l’intérieur. Il y a eu des explosions, et ça on l’a su après mais un des assaillants s’était fait tirer dessus par le commissaire de la BAC 75N et le coup de feu avait déclenché son gilet. Mais bon ça nous on ne le savait pas. Et quand on arrive le médecin nous dit qu’il doit y avoir au moins 150 morts parce qu’ils ont terminé les gens à la grenade dans la fosse. Alors là on se regarde tous. On voit le bordel : il y a des camions de logistique qui arrivent, et même les camions de maraude alors que normalement, ils viennent pas. Personne comprenait rien. Y’avait aussi des militaires du premier régiment de chasseurs en sentinelle, en train de trembler et pourtant ils avaient leurs FAMAS. Qu’est-ce qu’on va trouver à l’intérieur ? Et même au loin on voit des corps de gens, on sait même pas s’ils sont en vie. On pouvait pas encore accéder parce que c’était sécurisé. Ça tirait, ça tirait…
A un moment y’a une vague de gens qui sort, et on se dit qu’il va falloir y aller à un moment, sinon les gens vont se demander à quoi on sert. Moi, si j’étais eux, je vois des gens en uniforme, je m’en fiche de savoir quel uniforme ils portent, je sais juste qu’ils représentent la République française, l’Etat, et j’ai envie qu’ils viennent m’aider. Alors, des flics viennent nous chercher pour y aller. Et on commence à voir les premières personnes sur le trottoir, au fur et à mesure. Y’avait même plus d’équipe formée. Moi j’ai perdu mes gars. Je vais vers un Kangoo de maraude de logistique, pour un mec qui avait une hémorragie à la jambe. Ils avaient que des couvertures de survie, mais le flic m’a dit « vas-y on y retourne ». Y’avait des vagues de gens qui sortaient, qui nous appelaient, qui nous tiraient par le bras, couverts de sang. Ils nous disent qu’à l’intérieur c’est un carnage, qu’on est pas assez, on n’a pas assez de moyens. Et puis y’a ce mélange de primo-intervenants qui ont trouvé des barrières Vauban, parce que c’est un quartier avec pas mal de manifs, et ils ont commencé à sortir les gens comme ça. Puis y’a eu d’autres coups de feu. La BRI est venue dire qu’il fallait arrêter d’être à proximité du Bataclan parce qu’il y avait encore des terroristes et qu’ils allaient rentrer.
C’est dur de raconter. Je sais pas combien de temps ça a pris. Un responsable de l’asso nous a dit de monter dans un camion, n’importe lequel. On va à la Mairie du 11ème pour accueillir des impliqués. Alors on est parti pour préparer leur arrivée. On était couverts de sang, le pantalon qui collait, les bottes gluantes. On est allé se décrotter dans les toilettes de la mairie, on avait déchiré de gobelets en plastique pour gratter nos chaussures, mais ça servait à rien de mettre de l’eau. On était désemparés. Même nous on était dépassés par le truc. J’ai jamais retrouvé mon ambulance…
Je me souviens, sur la place de la Bastille, des gens sortaient de soirée je pense, et en passant ils nous applaudissaient, mais on comprenait pas pourquoi… On avait l’impression d’avoir failli à notre mission, et on savait pas pourquoi ils nous applaudissaient. Les conditions de sauvetage…c’était pas du tout les cas que t’étudies dans les référentiels ou dans le BSP à la Brigade. C’était n’importe quoi. Des blessés par arme à feu, j’en avais déjà fait, mais dans des bonnes conditions parce qu’il y avait une seule victime.
L’après
“J’avais réservé la date depuis le début”. Avant même de savoir que je pourrais y participer, je savais que je suivrais tout le procès dans le public, que j’irais tous les jours. Le terme de “victime malheureuse” tout comme celui de témoin ne sont absolument pas des qualifications appropriées. On a choisi un engagement, et on a tous été au bout de cet engagement ce soir-là. Le terme de “victime vicariante” a été émis par les magistrats ou les psychologues qui ont été sans cesse confrontés aux récits poignants et traumatisants des victimes directes et des blessés, mais jamais pour les primo-intervenants. Surtout pas un témoin et encore moins malheureux, qui est passif et qui ne participe pas à l’intervention contrairement aux primo-intervenants qui ont essayé de déjouer et de contrer les conséquences subies par les impliqués. A aucun moment on a été informés de nos droits. J’ai vu des gens qui venaient se constituer partie civile, des gens qui n’étaient pas dans le dossier, des pompiers de Paris, des policiers, des gens de la croix rouge, et le troisième jour, des gens de la protection civile. Donc je me suis dit que moi aussi j’allais le faire.
J’étais tout au fond de la salle, donc j’ai tout traversé devant tout le public, les victimes, Sala Abdeslam, jusqu’à la barre. J’étais assez à l’aise finalement. Depuis ce qui s’était passé, j’attendais inconsciemment ce moment et j’ai déroulé assez facilement bizarrement.
Quand tu regardes les photos des médias, on est partout, les primo intervenants on est partout et quand tu arrives devant la cour d’assisses comme si on n’avait jamais été là, alors qu’on est partout. Les seules photos donc les photos d’identité judiciaire c’est quand la scène est fixée, situation figée, il n’y a pas l’atmosphère et l’ambiance : c’est faussé, il reste juste les morts. Les seules photos qui peuvent témoigner c’est celles du grand public, c’est les photos des journalistes : celles où il y a les primo-intervenants, là où y a les personnes à sauver, qui témoignent qu’on a été là. Où tu vois les blessés, les victimes.
À la base quand j’y vais c’est mon objectif en tant que public : pour avoir des réponses, pour comprendre ce qui s’est passé, pourquoi on a été amené à intervenir dans une situation pareille, pourquoi l’intervention sort de la norme de ce que l’on fait d’habitude. J’y vais pour voir qui a fait ça, pas pour savoir pourquoi ils ont fait ça, puisque ça n’a pas changé depuis le 11 septembre. On sait très bien pourquoi et pas pour attendre des réponses des accusés puisque je sais qu’il y en aura aucune. Pour que la justice donne des réponses et des explications pas sur les failles de sécurité antiterro, on sait que les renseignements sont pas infaillibles, c’est dramatiques mais ça s’est passé. C’est comme ça. Mais Pour que la justice juge les gens qui ont participé de près ou de loin à ces actes et qu’ils soient condamnés à la hauteur de leur participation. Le sentiment d’inachevé et d’échec en partant de l’IML (Institut Médico-Légal). Peut-être qu’avec les condamnations des accusés du coup peut être que ça va clôturer l’intervention ? peut-être qu’elle va finir enfin ? La justice, elle apporte des réponses. Mais pas qu’elle dise “c’est pas grave”. Mais qu’elle confirme que c’était un acte de guerre, qu’on a été dépassé, qu’on n’aurait rien pu faire, qu’on a mis toute notre bonne volonté, et que ça personne nous l’a dit en fait. C’est pour les victimes indirectes donc aux familles. Mais aussi pour s’adresser à tous les primo-intervenants qui sont venus et qui ont fait du mieux qu’ils ont pu et ont été confrontés à la guerre en fait. Et dire qu’on a été confronté à une situation qui dépassais notre mission, pas notre cadre de compétence mais les moyens et les capacités qu’on avait. Juste qu’elle confirme, parce que la justice c’est le peuple français, et qu’il dise “soyez rassurés, vous avez bien fait”. Voilà au moins l’intervention elle est finie, ils sont condamnés, et après qu’elle apporte toutes les questions que les blessés ou les familles ont pu nous poser parque c’est son rôle.
Mais y a toujours une part d’ombre puisque les primo-intervenants on en a parlé, mais pas trop en fait, ils restent invisibles et inconnus. Moins invisibles qu’en arrivant à l’audience. Mais toujours pas reconnus… C’est pas que la justice nous dédouane, c’est pas ça, pas du tout. Mais qu’elle confirme qu’il y a eu un acte de guerre sur le territoire français. Et que les services de l’Etat, ceux qui sont intervenus : les primo-intervenants, ils ont été quelque part saturés, eux-mêmes attaqués, mis en danger en allant au bout du truc. Risque de sur-attentat, on savait, il y avait des gens au-dessus des toits. Quand on intervient y a des risques de rafales, il y avait un réel risque. Et la justice pour donner de la solennité, de la gravité, elle doit dire que les primo-intervenants, ils font pleinement partie de cet attentat et, elle ne peut pas les invisibiliser ni les nier. Mais de toute manière les images montrent que ça, le grand public voit ça. Ce que tout le monde a vu, qui sont gravées dans l’histoire, dans les mémoires c’est ces images là. Les blessés avec les victimes, on est mêlés en fait. On est une masse unique.
Tu veux juste savoir ce qui t’est arrivé. Et pourquoi tu as un sentiment d’inachevé encore six ans après. Est-ce que la justice va m’aider ? Parce que pour l’instant y a rien qui m’a aidé ou qui m’a donné de réponses. Non, mais y a une chose, ça a permis aux primo-intervenants de prendre part intégrante au procès, d’être entendu par la cour d’assises spéciale, d’avoir de la visibilité ; ce qui se produisait pas avant. Et les seuls qui sont aptes et en capacité de conter les interventions c’est les primo-intervenants, et pas ceux qui étaient aux postes de commandement qui ont juste lu les rapports.
Le refus de la reconnaissance comme partie civile il y en a qui l’ont très très mal vécu. Très très mal vécu. Il y en a qui ont démissionné, qui ont quitté la police, la brigade, qui ont arrêté de faire du bénévolat. Il n’y avait aucune reconnaissance. Ça m’a dégouté. Donc j’ai arrêté. Et je me suis dit qu’il fallait se recentrer sur un truc, et c’était les primo-intervenants. Et se battre sur un terrain où on sait que ça pourra évoluer. Faut faire un truc pour qu’ils aient une reconnaissance. Tu ne fais pas ça pour l’argent, pour les médailles, les primes ou la reconnaissance, ni même un merci en fait, parce qu’en fait, ce qu’on fait c’est normal. C’est méconnu en fait, personne ne connaît réellement les conditions d’interventions : qui sont ces primo-intervenants qui se cachent derrière les gyrophares bleus que vous voyez en pleine nuit. Savoir pourquoi ils se sont engagés, pourquoi ils font ça, qui ils sont, comment ils le font aussi dans leur mission quotidienne ? Et il y a un plus aussi, on se rend compte que derrière tous les mecs qui sont intervenus, dans les familles aussi, il y a un besoin. Il y a des familles de primo-intervenants qui venaient assister au procès aussi, ils vivent dans la peur : à chaque fois qu’il revêt l’uniforme et qu’il part, même faire la circulation ; eux, les familles, ils ont peur. Le dommage de ce traumatisme du terrorisme ne se cantonne pas qu’aux victimes directes et indirectes. Bien sûr tu peux pas déclarer tout un pays qui est traumatisé par un attentat comme partie civile au procès. Mais au moins reconnaître des mecs qui sont arrivés avant que la situation ne soit figée, que la scène soit fixée, de reconnaitre leur constitution de partie civile ça serait une grande avancée. Le statut de victime n’est pas approprié. L’idéal serait un statut particulier. La plupart des gens vivent en paix, mais ce qui s’est passé, ce sont des actes de guerre : ce n’est pas le travail des policiers, des pompiers ou des bénévoles de la protec’. Ils ont pas signés pour se faire tirer dessus à la kalache et faire du triage d’urgence comme en médecine de guerre. Il y a une conséquence, un préjudice psychologique qui affecte leur vie, leurs relations familiales, mais aussi le service de l’Etat. Ils ne peuvent plus vivre comme avant, ni remplir leur mission comme avant.
NOTRE RAISON D’ÊTRE
L’association GALEA, reconnue d’intérêt général, agit en faveur des primo-intervenants. Elle a pour objectif de leur apporter une assistance juridique, une aide administrative ainsi qu’un soutien moral en réponse à une intervention de crise, caractérisée par des conditions périlleuses ou dégradées et causée par une infraction grave. Les infractions graves désignent notamment des actes criminels graves tels que les crimes de masse, les attentats, ou encore les incendies d’origine criminelle.
En complément de ces actions, l’association se donne pour mission de faire connaître, dans l’espace public, l’importance des primo-intervenants et la spécificité de leur engagement au service de l’intérêt général, ainsi que les enjeux et les conséquences de leurs interventions.
POUR QUI ?
Policiers, gendarmes, sapeurs-pompiers, équipages SAMU, démineurs, bénévoles des associations agréées de sécurité civile, ou tout simplement citoyens sauveteurs, les primo-intervenants désignent les membres des forces et corporations de sécurité civile et de sécurité intérieure, engagés en première ligne en cas de crise, mais également les simples citoyens ayant porté assistance à une personne en situation apparente de péril grave et imminent.
Si la condition de nationalité française n’est pas requise, les interventions doivent toutefois s’être produites sur le territoire national.
Le soutien de GALEA est réservé à ses adhérents “personnes physiques” à jour de cotisation. Ce soutien peut être étendu à des personnes physiques non-adhérentes, notamment en cas d’action de groupe ou lors d’une action conjointe avec d’autres associations.
En outre, les familles de ces primo-intervenants peuvent également bénéficier des services proposés par GALEA.
COMMENT ?
L’association GALEA se donne pour mission de soutenir, défendre et faire connaître les primo-intervenants. Elle garantit une écoute, une assistance et un suivi à la fois professionnels, personnels et confidentiels à ses bénéficiaires. Pour cela, elle met en oeuvre plusieurs moyens d’action :
- Assistance juridique aux primo-intervenants désireux de se porter partie civile : informer les primo-intervenants et leur famille de leurs droits et les préparer en amont de leur témoignage à la barre.
- Soutien aux démarches administratives : assister dans la constitution de dossiers de prise en charge.
- Soutien moral : développer des collaborations avec des professionnels et des spécialistes (médecins, associations sportives …).
- Sensibilisation de l’opinion publique et des acteurs publics : organisation de conférences et de réunions d’informations auprès d’institutions publiques, d’organismes privés mais aussi du grand public.
- Participation aux procès en qualité d’auditeurs : rédaction de comptes-rendus d’audience destinés aux adhérents.
Pour plus d’informations sur les modalités et conditions de prise en charge, ainsi que sur nos actions : (créer lien vers onglet CONTACTS)
NOS MEMBRES D’HONNEUR
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